Nous croyons pour la plupart que notre pratique clinique repose sur des données probantes. Il y a en réalité pénurie de données de référence sur lesquelles appuyer un grand nombre de nos décisions cliniques. Même si les chirurgiens hésitent à l’admettre en public, le Journal canadien de chirurgie établit un constat de fait en publiant une série d’articles au sujet de la médecine fondée sur les données probantes1–34, dans lesquels le Groupe de travail sur la chirurgie fondée sur les données probantes, de l’Université McMaster, présente les principes de base. McLeod et coll., ainsi que Hill et coll., les appliqueront dans des numéros à venir en se fondant sur des modèles différents. Le concept des degrés de certitude est important. Une thérapie peut être recommandée en fonction du degré de certitude (I, II ou III) et la qualité du traitement peut être classée aux niveaux I, II ou III. Il s’ensuit qu’une grande partie des données probantes qui appuient la pratique de la chirurgie (et celle de la médecine aussi) sont de classes II et III, ou franchement empiriques. La pratique de la chirurgie est particulièrement prédisposée aux «avis d’experts» — la bonne façon de faire que nous ont apprise nos formateurs. C’est particulièrement évident lorsqu’un service compte deux spécialistes du même domaine. Leurs indications, leurs préparations préopératoires, leurs techniques opératoires et leurs soins postopératoires peuvent être entièrement différents, mais produire quant même des résultats identiques: il se peut donc qu’il n’y ait pas de façon idéale ou que nous n’analysions peut-être pas la pratique de façon à définir la meilleure technique.
Lorsque des non-médecins me demandent ce que je fais à Oxford et que je leur réponds que «j’étudie et je suis des cours en médecine fondée sur les données probantes», ils ont tous l’air intrigués et me demandent «ce que vous faites n’est-il pas déjà fondé sur des données probantes?» Il faut patiner vite pour leur expliquer l’évolution des concepts de cette discipline et pourquoi il vaut la peine de les apprendre.
Toutes les disciplines de la chirurgie connaissent une révolution depuis une décennie alors que l’on raffine les techniques chirurgicales en raison des pressions exercées par le virage-patients, de la concurrence pour les patients et de la technologie nouvelle. L’implantation de la cholécystectomie par laparoscopie (CL) comme technique standard constitue un exemple de démarche opératoire dictée par les patients. Comment implanter une nouvelle technique comme la CL? L’étude contrôlée randomisée (ECR) est-elle la bonne? À quel moment de l’évolution d’une nouvelle technique opératoire convient-il d’effectuer une ECR? Comme discipline, la chirurgie ne s’est pas penchée sur ces questions et c’est pourquoi nous prêtons le flanc à la critique de la part de nos collègues médecins et du public.
En second lieu, les chirurgiens doivent concentrer leur attention sur l’évaluation et la mise en œuvre de technologies nouvelles. Nous sommes enthousiastes et lorsqu’on nous offre la possibilité d’essayer quelque chose de nouveau et qui pourrait être une amélioration, nous avons hâte de le faire. Il est toutefois rare que l’évaluation structurée fasse partie du processus. Il semble évident qu’elle devrait en faire partie et c’est alors que les règles et les degrés de certitude devraient nous aider à savoir si le nouvel outil ou la nouvelle technique est vraiment pour le mieux. Le domaine suivant dans l’ordre d’importance consiste à munir les chirurgiens des titres et qualités dont ils ont besoin pour utiliser cette technologie et ces techniques nouvelles. Il n’y a presque aucun processus établi de formation et d’agrément des chirurgiens dans ces domaines. L’importance en est évidente pour l’assurance de la qualité et la protection du public. Nous devons définir ces processus avant qu’une entité publique décide que nous sommes incapables de le faire.
Enfin, la formation de la prochaine génération de chirurgiens fait partie intégrante de nos obligations qui ont trait à la mise en service, à l’utilisation, à l’agrément et à l’évaluation de techniques et de technologies nouvelles. Nous sommes les exemples et si nous bâclons ces activités, il est sûr que la prochaine génération ne fera pas mieux. En réalité, la phase actuelle où il y a deux et parfois trois façons différentes de procéder à une intervention devrait durer encore quelque temps. Si on ne peut accéder à Carnegie Hall qu’après avoir pratiqué suffisamment, il semble évident que le même principe vaut pour les aspects techniques de la chirurgie, et en particulier dans le cas des innovations. À cet égard, le Dr Waddell4 a présenté certaines de ses préoccupations, qui sont faciles à appuyer. Dans le contexte de ce Mot de la rédaction, il y a deux domaines d’apprentissage obligatoires pour la prochaine génération de chirurgiens: l’acquisition des compétences spécialisées accrues que la nouvelle technologie exigera et de celles qui sont associées à la pratique de la chirurgie fondée sur les données probantes, et leur application à l’évaluation des documents publiés ainsi qu’aux résultats cliniques du chirurgien même.