Nous nous rappelons tous des décisions de traitement difficiles que nous avons eues à prendre en début de pratique comme chirurgiens néophytes et inexpérimentés. Que nous aurions alors aimé recevoir l’appui et les conseils d’un mentor chevronné! Dans ce numéro du Journal canadien de chirurgie (page 168)1, Patrick McDonald décrit l’influence positive que le mentorat a exercée sur lui et compare son expérience à celle d’un autre chirurgien de son propre centre. Cette comparaison intéressera tous les nouveaux chirurgiens qui se lancent en pratique dans un centre de santé universitaire ou dans un hôpital communautaire, où que ce soit au Canada.
Le mentorat devrait toutefois intervenir à tous les stades de la carrière en chirurgie, car l’apprentissage dure toute la vie. Ainsi, comme le dit le Dr McDonald, le moment est venu de reconnaître et de structurer le processus de mentorat. Comment donc procéder?
Il est essentiel de reconnaître les besoins en mentorat des chirurgiens, qui sont liés inextricablement au cheminement de carrière. On trouvera des indices dans un sondage réalisé récemment auprès de médecins spécialistes cliniciens et universitaires dans un centre universitaire du Canada2. Les résultats ont révélé qu’on attachait beaucoup d’importance à la publication et aux techniques de rédaction des demandes de subvention. Or, la plupart des défis sur le plan du cheminement de carrière étaient liés à des enjeux personnels ou aux habitudes de vie — ce qui n’est pas étonnant. Ces enjeux comprennent l’organisation personnelle et la gestion du temps, défi qu’imposent couramment les tensions liées à la réforme de la santé, en particulier pour le praticien indépendant. Le défi de la communication orale et écrite efficace est aussi très pertinent pour le nouveau praticien qui sait sans doute que la plupart des plaintes adressées par des patients aux ordres professionnels sont liées à un manque de communication. L’étude a aussi dégagé des défis inhérents à l’établissement efficace d’objectifs personnels et professionnels, à la gestion de l’information et du stress, à l’adaptation au changement et à la préparation au leadership.
Le mentorat doit pouvoir répondre à des besoins spéciaux sur le plan du cheminement de carrière, et ces besoins peuvent varier selon l’ancienneté d’un chirurgien, l’orientation de sa carrière vers la pratique clinique, la médecine universitaire ou les deux, sans oublier les besoins différents des médecins des deux sexes. Le même sondage2 a révélé que le besoin de stratégies améliorées de communication, d’adaptation aux changements, de gestion du stress et de résolution des différends augmente avec l’ancienneté2. Ces tendances peuvent traduire le fait qu’on impose de plus en plus de tâches d’administration et de gestion aux membres du personnel chevronnés. Les débutants doivent pour leur part se préparer à l’avancement et survivre aux stages, fixer des objectifs et acquérir des styles de gestion. Les chirurgiens qui visent principalement la pratique clinique ont besoin de mentorat pour établir leur crédibilité en chirurgie, étape cruciale pour les chirurgiens débutants qui doivent acquérir de la confiance en leurs techniques chirurgicales tout en établissant un équilibre délicat avec d’autres priorités. Le mentor peut aider son protégé à mettre au point ses techniques chirurgicales dans le labyrinthe complexe de l’évolution des pratiques en santé, des droits des patients, de la responsabilité professionnelle, des guides de pratique et des nouveaux liens avec les centres médicaux universitaires. Les femmes qui enseignent à l’université et qui ont des enfants d’âge scolaire ont aussi signalé des besoins différents sur le plan du cheminement de carrière2.
La création d’un processus structuré de mentorat oblige les établissements à afficher leur engagement à favoriser l’épanouissement de chirurgiens qui réussiront en soins cliniques, en recherche et en enseignement. Comme l’affirme le Dr McDonald, «il faut un hôpital au complet pour former un chirurgien». Au Canada, certains centres3 ont lancé un processus de mentorat qui tient compte de certains facteurs clés: les mentors doivent avoir acquis de la maturité, être des membres respectés du département capables de fournir de l’aide professionnelle et personnelle, et doivent pouvoir remettre en question par des critiques constructives la vision que le jeune chirurgien a de sa carrière future. Dans certains cas, le mentor doit donner des conseils scientifiques et scolaires tout en faisant preuve de vigilance pour protéger le temps de recherche du chirurgien qu’il encadre. Le mentor doit réserver du temps pour rencontrer régulièrement son «protégé», ce qui est essentiel. L’établissement de buts et de plans d’action passe par des réunions périodiques. Cette démarche semble avoir été très fructueuse dans le cas du Dr McDonald, qui a pu structurer des discussions sur des cas difficiles avec des collègues de sa division de médecine des adultes et consulter des mentors éloignés pour l’aider à résoudre des cas complexes. Un mentor favorise ainsi l’acquisition de la confiance dans un nouvel environnement pendant que le rôle du nouveau chirurgien prend forme. Le jeune chirurgien devient connu des chefs de file de l’établissement et de l’extérieur et peut ainsi établir des contacts.
Pour réussir un programme de mentorat, il importe de veiller à ce que les mentors soient reconnus pour le temps qu’ils consacrent à ces activités. Les établissements peuvent faciliter les rencontres dès le début du recrutement pour qu’elles coïncident avec les activités d’orientation et des activités sociales en soirée afin d’appuyer la relation de mentor à protégé. Les ateliers à l’intention des mentors peuvent aider à définir des buts. La reconnaissance au moyen du processus de promotion, ainsi que les prix de mentorat des hôpitaux ou des facultés universitaires, peuvent aider à rendre hommage à ce rôle important.
Un mentor efficace repère des possibilités officielles de cheminement de carrière comme les cours et ateliers qui mettent l’accent sur la pratique en équipe, par exemple. Que l’on songe au cas de l’Hôpital de Winnipeg pour enfants, en 1994, où 12 décès sont survenus dans le contexte du Programme de chirurgie cardiaque pédiatrique: un mentor efficace aurait repéré les préoccupations de l’équipe de soins infirmiers cardiaques qui a aidé à mettre en évidence le problème systémique. La téléprésence constitue aussi un moyen attrayant d’instaurer le mentorat en chirurgie. Il existe déjà, partout au Canada, plusieurs exemples de télémentorat exceptionnel qui permettent d’acquérir des techniques chirurgicales à des endroits éloignés.
Les programmes structurés de mentorat donnent-ils des résultats? Au Canada, nombre de ces programmes en sont toujours à leurs débuts et devront recueillir des données sur les résultats. Le recrutement et le maintien en poste des talents les meilleurs et les plus brillants et la satisfaction personnelle sur le plan de la carrière en détermineront le succès. Un bon mentorat a besoin d’un chef de file qui soit le porte-étendard du processus, d’appui organisationnel et financier, ainsi que des ressources personnelles de tous les intervenants. Trop souvent, les établissements et les collègues du département accordent trop peu d’attention aux programmes de mentorat. Les meilleurs environnements reconnaissent qu’un bon mentorat est une source de productivité et de créativité. Et plus important encore: les établissements et les collègues chevronnés qui consacrent du temps de qualité au mentorat reconnaissent que c’est du temps bien investi parce que la réussite scolaire et les résultats de grande qualité pour les patients compensent largement!
Footnotes
Intérêts concurrents: aucuns déclarés.