Les méga-achats à l’origine d’un méga-gaspillage ======================================================= * Edward J. Harvey Au Canada, la tendance actuelle est aux groupes d’achats régionaux ou provinciaux pour réduire les coûts des contrats d’achat de matériel. Si je me rappelle bien, il y a plusieurs années, le gouvernement de la Colombie-Britannique a été le premier à procéder de cette façon, du moins en ce qui concerne le matériel chirurgical. Bien sûr, à première vue, cela semble logique. Un plus grand pouvoir d’achat permet de meilleures économies — les magasins Walmart n’ont-ils pas la bonne formule ? À l’échelle de la province, cette approche a permis au gouvernement de la C.-B. d’économiser des millions de dollars1. Restreindre les types d’implants à un seul choix permettra effectivement de réaliser des économies — pour le gouvernement — et d’améliorer le bilan. Le Québec a adopté une approche similaire en ce qui concerne l’achat des stimulateurs cardiaques et a ainsi économisé des millions de dollars. De nouvelles variantes de cette approche de réduction des coûts pourraient éventuellement permettre à des compétiteurs d’offrir certains des implants en moins grande quantité à un prix légèrement plus élevé pour éviter une situation de monopole, mais où serait la logique ? Quel hôpital permettra à un chirurgien d’installer un implant plus coûteux si le gouvernement provincial n’en approuve qu’un seul (moins cher) et que les budgets doivent être respectés ? Qui déterminera quel hôpital ou quel chirurgien aura l’autorisation d’acheter l’implant plus coûteux ? Sous cet angle, il n’y a pas d’autre choix que d’adopter un fournisseur unique. Or, ce système du fournisseur unique pose plusieurs problèmes même si, en théorie, les contrats ne durent que 5 ans. Accorder des contrats exclusifs à un seul fabricant en forcera certainement d’autres à se retirer du marché ce qui, en retour, réduira le nombre de fournisseurs à solliciter en vue d’une prochaine ronde de négociation des contrats. Mon hôpital conclut ce genre de contrats depuis un certain temps et je ne suis pas convaincu que la démarche ait été très concluante. Par exemple, nous nous sommes entendus sur un prix fixe pour les dispositifs d’enclouage des os longs et nous avons changé notre stock entier pour utiliser les produits du fournisseur en question. Lorsque ces clous ont fait l’objet d’un rappel à l’échelle du pays, une autre compagnie nous a fourni un implant similaire, tandis que le fournisseur original corrigeait la situation. Pendant ce temps, notre hôpital, et d’autres aussi probablement, ont payé le plein prix pour les implants de l’autre fournisseur et les économies prévues se sont envolées en fumée. Supposons que le matériel d’un fournisseur choisi présente des problèmes récurrents, par exemple, des défaillances et un rendement insatisfaisant : cela peut compromettre la qualité des soins. Il semble très peu probable qu’un hôpital permette le passage d’un équipement moins coûteux à des solutions plus chères, quelles que soient les préférences du chirurgien. Des défaillances sporadiques pourraient être attribuées à la malchance ou à une piètre technique chirurgicale. Le prix des implants orthopédiques est déjà extrêmement bas au Canada. Faire baisser les prix davantage incitera les fabricants à délaisser le marché canadien. Or, la plupart sont déjà des filiales de sociétés américaines. Certains sont sûrement déjà d’avis que les implants chirurgicaux sont tout ce qu’il y a de plus interchangeable. Il est difficile d’évoquer des normes factuelles face à un tel aveuglement et peu de comparaisons directes existent dans la littérature pour contrer l’argument. Toutefois, comme les chirurgiens apprennent et se familiarisent avec certains dispositifs durant leur formation, les résultats risquent d’être bien différents si les implants et les équipements changent sans préavis d’un cas à l’autre. Cette approche de l’implant « universel » limite les options chirurgicales et découragera probablement l’innovation technologique à l’avenir. Nous remettons ainsi des décisions médicales entre les mains d’administrateurs hospitaliers motivés par des impératifs économiques. Dans un monde idéal, cela ne serait pas mauvais — la collaboration entre les chirurgiens et les administrations des hôpitaux et des provinces est une bonne chose en soi, mais le problème, c’est que les administrateurs des hôpitaux ne parlent pas toujours aux chirurgiens et vice versa. Peu importe ce qu’en disent les établissements de santé, nous nous dirigeons vers une économie de monopoles. Il est difficile de voir où se trouve l’avantage à long terme pour les patients dans une approche, quelle qu’elle soit, qui engendre un monopole. Il y aurait probablement de meilleures façons de s’attaquer au problème et elles pourraient même se révéler plus économiques au bout du compte. Il faudrait établir un prix cible pour l’achat de matériel et en faire un objectif pour tous les partenaires de l’industrie. Établir le prix concurrentiel réaliste le plus bas possible pour un implant permettrait aux hôpitaux de s’approvisionner auprès de n’importe quel fabricant au prix ciblé. Le prix pourrait être légèrement plus élevé que la soumission la plus basse pour permettre la concurrence. Au prix ciblé, toutes les compagnies seraient autorisées à proposer leurs produits à n’importe quel établissement de santé public provincial. Cette approche ne chasse pas les partenaires de l’industrie hors de la province ou du pays, ne limite pas les prochains contrats à un seul fournisseur et permet une substitution facile en cas de défaillance des implants, de résultats insatisfaisants ou de rappels. Il doit y avoir une meilleure façon de gérer l’acquisition de matériel. Si nous ne faisons rien, cette tendance aux méga-achats groupés nous mènera tout droit à un méga-gaspillage. ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** Aucuns déclaré. ## Référence 1. British Columbia Ministry of Health Services Health authorities save $57.5M through shared services, Disponible: [http://bit.ly/1spxBET](http://bit.ly/1spxBET). consulté le 5 janvier 2015.