L’apprentissage interspécialités à l’ère de la formation basée sur les compétences ============================================================================================ * Edward J. Harvey * Vivian C. McAlister Vous pourrez lire dans ce numéro un article au sujet d’une proposition de programme de formation en chirurgie à l’intention des médecins de famille1. Nous avons décidé de le publié avec des commentaires connexes pour et contre la proposition en vue de favoriser un débat éclairé. Les tenants de la proposition sont d’avis qu’en améliorant les compétences chirurgicales des médecins de famille, on augmente la possibilité d’offrir des soins chirurgicaux aux patients dans les régions éloignées où il pourrait ne pas y avoir de chirurgiens2. Les opposants doutent de la prémisse de la proposition, arguant que les patients des régions éloignées ont un excellent accès aux soins chirurgicaux et s’attendent à recevoir des soins de la même qualité que les patients d’ailleurs3. Cette proposition survient à un moment où la formation spécialisée est en pleine mutation. Au lieu de concevoir un programme de formation comme processus basé sur le temps pour l’acquisition séquentielle de connaissances et de compétences, on suggère que la progression de la formation en chirurgie soit plutôt fondée sur l’acquisition de compétences définies. Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a donné à cette transformation l’appellation de « compétence par conception ». Alors que la version actuelle de l’initiative de la compétence par conception s’applique à la formation médicale postdoctorale (résidence), on compte y inclure la formation postcertification qui porte actuellement la désignation de « développement professionnel continu » (DPC). La compétence par conception permettra entre autres aux chirurgiens de personnaliser leur formation en fonction des exigences de pratique de leurs situations particulières. Certains chirurgiens limiteront leur pratique à des secteurs d’intérêt spécialisé (p. ex., arthroplastie ou chirurgie hépatobiliaire); d’autres suivront une formation interspécialité afin d’élargir leurs compétences (p. ex., césarienne effectuée par des chirurgiens généraux). Où donc, à l’ère de la compétence par conception, s’inscrit cette proposition visant à former les médecins de famille pour leur permettre d’effectuer des chirurgies lourdes? La compétence par conception supprime l’élément de temps, sans modifier les autres éléments fondamentaux de la formation. Les modules de cours comportent tous 4 éléments: prérequis, phase d’apprentissage, examens et maintien des compétences. Actuellement, les prérequis pour qu’un stagiaire suive une formation chirurgicale avancée sont la réussite des cours et des examens portant sur les principes de chirurgie. Il faudrait accorder certains crédits aux médecins de famille certifiés, mais la proposition devrait inclure une formation supplémentaire ainsi que des examens portant sur les principes fondamentaux de la chirurgie afin de répondre à la norme validée des prérequis. La compétence par conception pourra s’appliquer à un chirurgien en exercice qui apprend une nouvelle intervention: les compétences chirurgicales établies faciliteront l’acquisition des nouvelles compétences. D’autre part, il n’y a aucune raison de croire que les médecins non-chirurgiens — même s’ils ont terminé leur formation sur les principes fondamentaux de la chirurgie — deviendront compétents plus rapidement que les résidents en formation, auquel cas le programme d’acquisition de compétences chirurgicales avancée ne peut être terminé en 1 an. Il est plus probable qu’il nécessitera autant d’efforts et de temps qu’un programme classique de formation en chirurgie — sans les mécanismes de contrôle déterminés d’un programme de formation agréé. Les patients et les organismes de réglementation s’attendront à ce que les médecins qui ont des privilèges chirurgicaux aient réussi les examens normalisés de compétences. La responsabilité des examens sur les compétences interspécialités devrait continuer d’incomber à la surspécialité. Il sera difficile sur le plan logistique de tester la large gamme de compétences que ce programme propose. Il sera presque certainement impossible de dispenser la formation et de faire passer les examens selon le calendrier proposé. Enfin, le maintien des compétences comporte 3 éléments: la pratique de la compétence particulière, la pratique des compétences connexes et le développement professionnel continu. La proposition se fonde sur une prémisse, soit que les régions éloignées offrent un volume insuffisant de travail pour garder sur place des chirurgiens ayant reçu une formation classique. Or, dans une telle situation, le médecin de famille sera incapable de maintenir sa compétence par la pratique de la compétence particulière ou des compétences connexes. Il devra par ailleurs consacrer une quantité excessive de temps à suivre des cours pour son développement professionnel continu. La prestation de services de chirurgie dans un pays aussi vaste que le Canada exige une collaboration entre plusieurs ordres de gouvernement, les administrations hospitalières et plusieurs spécialités médicales. Bien que l’absence d’un chirurgien soit souvent citée pour justifier le transfert d’un patient, la véritable évaluation logistique est toujours plus complexe. Les chirurgiens qui fournissent des soins doivent être prêts à faire face à des constatations intraopératoires inattendues et difficiles et à des développements postopératoires complexes. Des adages tels que « se préparer au pire est mieux qu’espérer le meilleur » et « la dernière chose qu’un chirurgien apprend est quand ne pas opérer » ont résisté à l’épreuve du temps. La prestation de bons soins aux habitants des régions éloignées doit reposer sur une étroite collaboration et le partage des soins avec les médecins de famille des patients. À cette fin, les médecins de ces régions doivent acquérir des compétences supplémentaires par rapport à celles dont ont besoin les médecins de famille en milieu urbain. Or, il est peu probable qu’il leur soit utile d’acquérir les compétences nécessaires pour la pratique de chirurgies lourdes. Le programme proposé pour l’acquisition par un médecin de famille de compétences chirurgicales avancée correspond en fait à la formation d’un chirurgien généraliste4. Les auteurs du programme de formation proposé ont déterminé qu’il y avait un besoin perçu de compétences chirurgicales dans les régions mal desservies du Canada. Le simple rejet de la proposition ne résoudra pas le problème. Pour trouver une solution, il faudra tenir des discussions à plusieurs niveaux sur les rôles des chirurgiens généraux et des médecins de famille ayant des compétences avancée (omnipraticiens), à une époque où la « super-spécialisation » menace les soins dans les régions les moins peuplées. ## Footnotes * Voir les commentaires connexes (en anglais) de Warnock et Miles (p. [367](http://canjsurg.ca/lookup/volpage/58/367)) et de Vinden et Ott (p. [369](http://canjsurg.ca/lookup/volpage/58/369)) ainsi que la discussion en chirurgie (en anglais) de Caron et collaborateurs (p. [419](http://canjsurg.ca/lookup/volpage/58/419)) * **Intérêts concurrents**: E.J. Harvey est médecin hygiéniste en chef de Greybox Healthcare (Montréal) et président du Conseil d’administration de NXTSens Inc. (Montréal). Aucun déclaré pour V.C. McAlister. ## References 1. Caron N, Iglesias S, Friesen R, et al.A proposal for the curriculum and evaluation for training rural family physicians in enhanced surgical skills.Can J Surg 2015;58:419–22. 2. Warnock G, Miles P, et al.Why Canada needs networks to provide rural surgical care, including family doctors with essential surgical skills.Can J Surg 2015;58:367–8. 3. Vinden C, Ott MC.GPs with enhanced surgical skills: a questionable solution for remote surgical services.Can J Surg 2015;58:369–71. 4. Webber EM, McAlister VC, Gorman L, et al.The past and future of the generalist general surgeon.Can J Surg 2014;57:6–7.