Le mot « équipe » est devenu omniprésent dans les soins de santé et dans la vie de tous les jours. Quels que soient le nombre de membres ou les tâches, il semble que la plupart des groupes de notre quotidien se voient attribuer cette appellation. Pour la plupart, nous ne nous arrêtons pas souvent à évaluer le caractère superflu du terme; le mot « équipe » occupe depuis longtemps une place importante dans notre esprit collectif. Certes, la définition varie selon la source, mais beaucoup de gens pensent tout de suite aux sports : l’équipe est un groupe de personnes effectuant des tâches indépendantes dans le but d’atteindre un objectif précis (p. ex., gagner un championnat). Il y a toutefois un élément manquant dans ce concept : le fait que les membres du groupe ont souvent des tâches désagréables, mais qui profitent au groupe et à son but. Cet aspect est essentiel pour distinguer les vraies équipes des groupes à qui l’on attribue simplement l’appellation.
Cependant, ce qui distingue clairement les équipes sont les répercussions du défi individuel qui vise à atteindre l’objectif commun. Ces répercussions peuvent aller des tâches réalisées dans un environnement inconfortable (p. ex., bénévolat) aux tâches occasionnant un inconfort physique (p. ex., sports de contact), jusqu’au sacrifice ultime (p. ex., forces armées). Les musiciens ont souvent une définition intéressante de l’« équipe », qui pour eux, signifie de faire partie d’un groupe de musique, mais plus précisément, de jouer d’un instrument à l’unisson en renonçant au plaisir et à la gloire d’un solo.
Dans une équipe, la portée des sacrifices peut varier, mais le concept de réalisation d’une tâche nécessaire à la réussite du groupe, sans gain personnel, est essentiel. Dans le domaine de la santé, nous utilisons le terme « équipe » pour une multitude de tâches et de groupes qui finalement ne respectent pas les critères de la définition principale. Par exemple, être payé pour insérer des cathéters par voie périphérique à des patients durant un quart de travail ne suffit pas pour faire partie d’une « équipe IV ». La nuance peut sembler futile, mais la différence entre une « équipe » et un « groupe » est aussi importante que la distinction entre un « leader » et un « gestionnaire » sur le plan organisationnel.
Comme on peut s’y attendre, certains des leaders les plus respectés ont exploré en profondeur les subtilités et les caractéristiques du concept d’équipe. Tom Coughlin, entraîneur et directeur ayant remporté le Super Bowl, a souligné que la réussite d’une équipe exige des sacrifices individuels. Les membres d’une équipe qui en sont exemptés deviennent égoïstes et insensibles aux valeurs profondes de l’équipe. Il explique que les grands efforts et sacrifices individuels (que certains membres tentent d’éviter) demeurent l’un des fondements essentiels à la création d’une équipe gagnante. Plus précisément, il mentionne « qu’il n’est pas question de droits et de privilèges individuels, mais plutôt d’obligations et de responsabilités. Et la question est la suivante : est-ce qu’on peut compter sur vous? Il faut toujours poser les bons gestes de la bonne manière (comme l’équipe l’a prévu), parce que ce sont nos actions répétées qui nous définissent ». En d’autres mots, l’excellence d’une équipe n’est pas un acte, mais une habitude. Il ajoute aussi que « la discipline individuelle, l’organisation des priorités et le dévouement à sa tâche sans procrastiner ni prendre de raccourci » incombent à chaque membre d’une équipe efficace.
Le meilleur exemple d’équipe est peut-être celui de l’équipe nationale de rugby de la Nouvelle-Zélande, les All Blacks1. L’expression « Sweep the sheds » [balayer les vestiaires] est devenue presque sacrée pour cette équipe. À première vue, l’expression semble refléter l’importance de maintenir des vestiaires impeccables dans le milieu du sport professionnel. Mais en fait, elle décrit la réalité des membres de l’équipe qui doivent contribuer à faire briller les vestiaires, malgré la nature déplaisante de la tâche. Autrement dit, personne dans l’équipe, quel que soit son talent ou son titre, n’est au-dessus des tâches simples qui doivent être réalisées (dans ce cas précis, il s’agit de ramasser pour soi et pour les autres). Il est intéressant de transposer ce concept à nos salles d’opération : aider à transférer un patient de la table à la civière, contribuer à la préparation des salles ou même appeler tous les membres de l’équipe — responsables de l’entretien ménager, porteurs d’hôpital, etc. — par leur nom.
Nous savons que la composition de chaque équipe est vitale2. Plus précisément, il est clair (par expérience et par des calculs simples) que la diversité dans les équipes entraîne une amélioration mesurable et prévisible des résultats3. Ainsi, les dirigeants des soins de santé ont la responsabilité de bâtir des équipes dont les membres forment une combinaison optimale en matière de diversité, de discipline, de responsabilité individuelle, d’expérience, de créativité et de dévouement afin de maximiser les chances d’atteindre le but commun de l’équipe. On peut également se questionner sur l’effet que pourrait avoir l’approche par compétences de la formation en chirurgie, durant laquelle les stagiaires travaillent de façon individuelle pendant de longues périodes. Cette approche risque-t-elle de former des professionnels qui travaillent bien seuls, mais difficilement en équipe4? Enfin, le dernier concept à explorer est le fait que toutes les équipes fructueuses ont une durée de vie définie. En effet, les équipes doivent intégrer de nouveaux membres, être exposées à de nouvelles idées et être réorganisées, et on doit procéder à une réévaluation de leur mission centrale, mission qui doit être fréquemment répétée. Parfois, cela peut être aussi simple que de repenser un cri de ralliement (comme pour le rituel du haka des All Blacks, https://www.youtube.com/watch?v=yiKFYTFJ_kw) ou aussi complexe que la restructuration complète de la culture et du leadership d’un groupe. Tous les membres de l’équipe doivent cependant participer à ce processus de renouvellement, et pas seulement ceux qui font partie de l’administration. L’aval de l’ensemble du groupe demeure central pour s’approcher de la définition réelle d’une équipe.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est médecin chef chez Greybox Solutions; il est cofondateur et directeur de l’innovation médicale de NXTSens Inc, cofondateur et médecin chef de MY01 Inc. et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Il bénéficie du soutien institutionnel de J & J, DePuy Synthes, Stryker et Zimmer, et il fait partie du conseil d’administration de l’Orthopedic Trauma Association et de l’Association canadienne d’orthopédie.