IA et chirurgie : Terminator ou occasion en or? =============================================== * Edward J. Harvey * Chad G. Ball Presque tout le monde a déjà expérimenté les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) en ligne. Même les personnes n’ayant aucune idée des rouages de cette innovation constatent le caractère novateur de ChatGPT, de DALL-E ou d’outils similaires. Au-delà de sa capacité à générer des réponses à des questions ésotériques ou des images originales pour une présentation, l’IA devient aussi de plus en plus utile en chirurgie, aussi bien pour les scénarios cliniques que sur le plan de la recherche. Au sens large, l’intelligence artificielle désigne les algorithmes qui permettent aux machines d’imiter des fonctions cognitives normales. L’apprentissage machine réfère à la modélisation algorithmique à partir de données-échantillon qui entraînent les algorithmes à prendre des décisions sans être explicitement programmés pour exercer cette fonction. L’apprentissage par renforcement se rapporte aux techniques d’apprentissage machine qui accomplissent des sous-tâches difficiles à représenter dans des modèles analytiques précis. En contexte chirurgical, il pourrait s’agir de réduire au minimum les lésions aux tissus mous causées par un robot. Les algorithmes d’apprentissage par renforcement sont basés sur des politiques apprises à partir de démonstrations au lieu de nouveaux apprentissages. Le temps nécessaire au processus d’apprentissage est ainsi réduit. Mais peut-on recourir à ces algorithmes et processus d’apprentissage dans la pratique chirurgicale actuelle? Même s’il s’agit d’une technologie émergente, l’IA peut apporter une aide en amont dans plusieurs domaines en chirurgie. Par exemple, on peut améliorer la planification préopératoire avec des cas antérieurs en implantant l’IA à partir de registres disposant d’excellentes données pour entraîner les modèles. L’IA se base alors sur ces données pour choisir des scénarios optimaux pour les futures opérations. Même avant la mise en oeuvre de l’IA, la planification d’interventions chirurgicale par navigation a été améliorée grâce aux données d’imagerie avancée. Cette méthode avait déjà été employée pour la chirurgie à effraction minimale robot-assistée. On a constaté dans de nombreux cas une réduction des complications chirurgicales et une amélioration des résultats. Dans le même ordre d’idées, l’IA peut servir à réduire le nombre d’interventions chirurgicales infructueuses en permettant un diagnostic et des interventions précoces au moyen de techniques minimalement effractives, notamment en cas de sepsie, d’arthrite ou de maladie vasculaire. Le National Health Service au Royaume-Uni a lancé un programme appelé Accelerating Detection of Disease qui exploitera les mégadonnées et l’IA pour concevoir des solutions visant le dépistage et l’anticipation précoces des maladies au pays1. Il est encore un peu trop tôt pour que tous les soins peropératoires soient pilotés par l’IA en dehors de l’optimisation de la robotique actuelle. Le remplacement robotique complet des chirurgiennes et chirurgiens est peu réaliste, mais de l’assistance sera disponible très bientôt. Un suivi précis de la déformation des tissus est essentiel pour ce qui est de l’orientation peropératoire et de la navigation en chirurgie à effraction minimale. Il n’était pas possible d’effectuer une modélisation exacte, mais des scientifiques ont conçu un cadre d’apprentissage en ligne visant à suivre la déformation des tissus2. Les interventions à effraction minimale sont de plus en plus assistées par robot et pourraient faire davantage appel à l’IA. L’apprentissage machine aide à cibler des renseignements importants et des pratiques de pointe en examinant des millions d’ensembles de données. Certaines entreprises proposent des robots laparoscopiques dotés d’IA guidés par la performance qui transmettent des renseignements comme la qualité et la taille des tissus aux chirurgiennes et chirurgiens2. En parallèle, les compétences humaines servent à programmer ces robots par la démonstration; ces derniers modifient leur comportement en imitant les opérations effectuées par des chirurgiennes et chirurgiens. Dans le domaine de la téléchirurgie, l’assistance par IA pourrait certainement être utile. Les chirurgiennes et chirurgiens pourraient bientôt réaliser des interventions en contrôlant des robots chirurgicaux par l’intermédiaire d’un programme disposant d’une interface IA. Bien que les scénarios d’application potentielle de l’IA semblent nombreux, une mise en garde sur les plans de l’innovation et de la recherche paraît nécessaire. Plus précisément, l’utilisation d’outils d’IA en ligne a l’air d’être un moyen facile d’approfondir une recherche de brevet, mais toute recherche de nouveauté à l’aide d’algorithmes d’IA utilisant des renseignements exclusifs est risquée. Si vous effectuez une recherche avec de l’information liée à votre invention, votre idée fait maintenant partie du domaine public. Certaines demandes de brevet peuvent ainsi être invalidées. Plusieurs chefs de file des technologies ont également émis un avertissement à propos des progrès rapides accomplis par les systèmes d’IA qui imitent les tâches exécutées par des êtres humains et ont demandé en particulier à ce que la progression des modèles de langage soit mise sur pause. Il sera intéressant de voir si ces leaders seront écoutés. L’IA est un domaine en croissance stimulant pour la chirurgie et la médecine en général, mais comme le dit si bien le sergent Phil Esterhaus dans *Hill Street Blues* (La brigade de Hill Street) : « Évitez les numéros! ». ## Footnotes * Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales. * **Intérêts concurrents:** E.J. Harvey est cofondateur et responsable de l’innovation médicale de NXTSens Inc.; cofondateur et médecin-chef de MY01 Inc. et de Sensia Diagnostics Inc.; et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Son établissement bénéficie du soutien de J et J DePuy Synthes, Stryker, MY01 et Zimmer. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré. 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The challenges of deep learning in artificial intelligence and autonomous actions in surgery: a literature review. Art Int Surg 2022;2:144–58.