Dans ce numéro du Journal canadien de chirurgie, Conner-Spady et ses coauteurs1 présentent aux chirurgiens un outil validé d’établissement des priorités pour l’accès à l’arthroplastie de la hanche et du genou. Ce système et d’autres publiés récemment par le Comité directeur du Projet sur les listes d’attente dans l’ouest du Canada2,3 ont amélioré considérablement notre capacité de mettre de l’ordre dans le chaos qui règne dans l’établissement de priorités pour rendre équitable et transparent l’accès aux soins chirurgicaux. Certes, il reste encore des perfectionnements à apporter aux mécanismes d’établissement des priorités cliniques, mais il est néanmoins essentiel que les chirurgiens relèvent le défi d’utiliser ces outils dans le contexte d’un système de répartition des ressources chirurgicales telles que le temps en salle d’opération, l’appui préopératoire, les lits en chirurgie et les services auxiliaires. Au cours du Forum canadien de chirurgie de 2003 qui a eu lieu à Vancouver, l’Association canadienne des chirurgiens universitaires a passé en revue les principes de la répartition des ressources, discuté de méthodologies possibles et abordé des stratégies de gestion afin de garantir une saine répartition.
Plusieurs principes devraient guider la répartition des ressources chirurgicales. Tout d’abord, il faut aborder les ressources en fonction des besoins du patient. Dans notre système financé par le secteur public, le patient est le «propriétaire» des ressources. Sur le plan opérationnel, cela se traduit par une répartition fondée sur une analyse normalisée des périodes d’attente conformément à des normes nationales et des paramètres reconnus. Deuxièmement, il faut fournir les services en tenant compte du financement et des ententes interrégionales. Troisièmement, dans les régions de santé qui font de la recherche et de la formation, il faut s’engager à renouveler les ressources qui appuient le mandat d’enseignement et de recherche. Quatrièmement, le principe de l’intégrité prévoit que la répartition des ressources constitue un processus ouvert partagé avec les patients, les prestateurs de soins et les partenaires provinciaux. Cinquièmement, la répartition doit respecter le principe de la viabilité. Il faut accorder la priorité aux interventions dont des indicateurs factuels démontrent la pertinence. Enfin, la répartition des ressources chirurgicales qui se répercute sur le système général de soins de santé doit comporter une «réflexion systémique» établissant un transfert responsable de ressources à l’appui des programmes.
Ces principes se conjuguent au besoin de comprendre clairement l’obligation de rendre compte des décisions prises. Trois niveaux d’imputabilité résident dans les conseils chirurgicaux régionaux, chez les directeurs de chaque programme de chirurgie et chez les membres des équipes de la haute direction : il est essentiel que les chirurgiens soient représentés à chacun de ces niveaux.
Il faut établir une méthodologie afin de rajuster la répartition des ressources. Il est essentiel de prévoir en premier lieu du temps pour les urgences chirurgicales. Le reste du temps, appelé volet facultatif, est réparti en fonction des priorités et des données gérées avec soin sur les périodes d’attente.
Il existe deux options. Il y a d’abord un protocole prospectif fondé sur les cas en attente. (Cette option ne devrait pas reposer sur le nombre de cas seulement puisque la complexité de chaque intervention chirurgicale oblige à tenir compte de la durée de l’intervention et de ses effets sur les ressources.) L’autre option consiste à suivre une démarche rétrospective fondée sur la période moyenne pendant laquelle il a fallu attendre pour subir l’intervention : on utilise des données historiques sur la période d’attente moyenne, recueillies en fonction du chirurgien, du service et de l’établissement, pour réaffecter le temps et d’autres ressources en fonction de la moyenne globale.
Quelle que soit l’option choisie, il faut accorder une importance primordiale à certains problèmes de répartition, dont l’un consiste à établir une affectation minimale par chirurgien, sans égard aux périodes d’attente, compte tenu des nouvelles recrues en chirurgie, des membres de sous-spécialités de la chirurgie et de ceux qui effectuent des activités d’administration ou de recherche. Il faut aussi établir une affectation maximale. Dans les établissements dont l’enseignement constitue le coeur de la mission, les chirurgiens formateurs ont besoin de temps pour enseigner. De récentes données repères nationales non publiées (recueillies en juin 2003 pour le compte de la Vancouver Coastal Health Authority par Johnson and Johnson Consultants) montrent que dans un vaste éventail de spécialités de la chirurgie, les interventions prennent en moyenne de 12 à 25 % moins de temps dans les hôpitaux communautaires que dans les hôpitaux d’enseignement. Il faut enfin tenir compte des services qui se consacrent largement aux urgences.
En dépit de l’élaboration et du rajustement de ces méthodologies, il y aura inévitablement des périodes de pénuries de ressources en raison de l’absence de membres du personnel, de fournitures non livrées ou commandées en quantité insuffisante, d’épidémies comme le SRAS et d’autres variables encore moins prévisibles. Il faut alors accorder la priorité aux patients dont l’état est le plus grave.
Il est essentiel d’établir une façon de revoir la méthodologie de répartition du temps en salle d’opération. La réussite reposera sur une poignée de facteurs de base. Il faut intégrer des contrôles internes qui appuient l’observation des principes de la répartition des ressources déjà énoncés. Le système doit réagir à des exigences toujours changeantes : il doit être facile et peu coûteux de modifier la répartition. Le processus doit être uniforme et transparent pour tous les membres du département de chirurgie. La facilité et le faible coût devraient caractériser les vérifications inévitables des données. Le flux des patients dans le système chirurgical devrait toujours bénéficier d’une stratégie axée sur le patient : c’est ce qu’il y a de plus important.
En somme, les chirurgiens auront d’importants défis à relever pour utiliser les nouveaux outils mis au point afin de classer par ordre de priorité les soins des patients dans un système complexe de répartition des ressources. Ce processus devrait être le reflet de l’organisation, de la solution de problèmes, de la qualité des soins et du renouvellement des engagements universitaires. La saine intendance de ressources précieuses, sous le leadership clé des chirurgiens, permettra de donner à la population accès en temps opportun à des soins chirurgicaux normalisés.