Il ne fait aucun doute qu’au Canada et dans d’autres grandes régions du monde, on a du mal à offrir des soins adéquats. Bien des communautés plus ou moins rurales n’ont pas accès à l’éventail complet des soins de santé. La compression incessante des ressources qui permettent de fournir des soins à tous les patients au Canada a produit des zones de couverture incomplète pour les soins critiques, ce qui a contribué à l’allongement des temps d’attente, même pour les interventions prioritaires, et à une croissance rapide du sous-emploi chez les chirurgiens et autres médecins. Dans le dernier numéro du JCC, on a signalé 2 possibilités1,2 et une proposition3 visant à résoudre certains de ces problèmes.
Je m’inquiète toutefois de la qualité des soins. L’utilisation de bases de données sur les patients et de comparaisons démographiques d’autres secteurs a fragmenté le suivi dans ce domaine. À mon avis, les mesures proposées pour faciliter le suivi de la prestation des soins arrivent trop tard et sont insuffisantes. De toute évidence, une famille du nord du Québec, par exemple, n’aura pas accès aux services de pointe en néonatologie ou même aux soins de physiothérapie les plus élémentaires. La prestation de ces services et de certains autres par des praticiens formés selon le modèle de la « compétence par conception » — si le modèle en question finit par être dévoilé — pourrait faire partie de la solution. Reste à savoir si un médecin de famille voudra consacrer beaucoup de temps à acquérir la formation nécessaire pour une intervention rarement effectuée.
La somme des compétences chirurgicales avancées qu’il faut absorber pour maîtriser une intervention a de quoi intimider. Et le mode d’évaluation prévu dans le modèle de la compétence par conception (examens oraux et écrits) semble quelque peu archaïque, surtout pour les médecins des milieux ruraux. Il faudra attendre l’émergence d’une combinaison de formation par simulation et de mentorat à distance avant qu’il devienne vraiment possible d’appliquer ce modèle. Pourtant, en réalité, nous disposons déjà de presque tous les outils nécessaires à cette transition. Malheureusement, le système de santé et les instituts de recherche canadiens ont été lents à réagir. À bien des égards, il faut aborder la médecine rurale comme s’il s’agissait d’organiser la prestation des soins au personnel d’une station spatiale.
De grandes sociétés, comme Google et Microsoft, offrent déjà du matériel susceptible de faciliter l’apprentissage et la prestation des soins à distance. Même si Google Glass a connu un échec sur le marché grand public, il a été largement adopté par le milieu médical. Il est déjà bien établi que les lunettes Google Glass peuvent servir en toute sécurité à la supervision par un expert d’interventions effectuées à distance. Microsoft a lancé un produit similaire qui permet à la personne qui porte les lunettes et au chirurgien qui effectue l’intervention de voir des hologrammes surimposés; le chirurgien-conseil peut ainsi, à distance, tracer une cartographie tridimensionnelle du plan chirurgical sur le patient en temps réel ou annoter l’intervention au fur et à mesure. Au moyen d’appareils de télédétection gérés par des applications nuagiques, on pourrait laisser à la maison les patients en santé et dépister plus rapidement les troubles chez les patients malades. Les 2 technologies amélioreraient la qualité des soins et réduiraient les coûts pour le système de santé.
L’implantation d’un changement, quel qu’il soit, dans le système de santé, comporte une autre étape importante : les médecins doivent s’entendre sur les paramètres de la qualité des soins. À mon avis, le débat portant sur la possibilité de fournir des soins de haut niveau en milieu rural gagnerait en clarté s’il tenait simplement compte des technologies modernes. De toute évidence, dans le cas des maladies très graves et des troubles rares, les soins fournis en milieu rural ne peuvent être aussi bons ou aussi complets que les soins offerts dans les centres urbains. Toutefois, pour les maladies courantes, il serait possible d’améliorer très rapidement la sûreté des soins.
Footnotes
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est médecin hygiéniste en chef de Greybox Healthcare (Montréal) et président du Conseil d’administration de NXT-Sens Inc. (Montréal).