Qu’on le veuille ou non, les soins de santé relèvent de la compétence des provinces. La machine des soins de santé, qu’elle fonctionne bien ou pas tout à fait, selon la région, est conçue en fonction des préoccupations locales et basée sur celles-ci. Les caractéristiques démographiques des patients et leurs besoins diffèrent à certains égards selon les provinces, auxquelles la loi confère le droit d’établir les priorités, particulièrement en période de confinement des coûts. Le gouvernement fédéral devrait avoir très peu à faire dans le fonctionnement quotidien des soins médicaux. Les ministres fédéraux livrent actuellement aux provinces une guerre lente au sujet du montant des paiements de transfert au titre des soins de santé. Les ministres fédéraux des Finances, Bill Morneau, et de la Santé, Jane Philpott, ont offert aux provinces une majoration annuelle de 3,5 % du transfert pour la santé — un pourcentage inférieur à l’augmentation du produit intérieur brut. Les provinces exigeaient l’augmentation auparavant habituelle de 6 % qui reflète plus fidèlement l’augmentation réelle des coûts. L’Ontario calcule que le minimum absolu nécessaire pour éviter la perte de services essentiels s’établit à 5,2 %. Le gouvernement fédéral a aussi offert 11 milliards de dollars de plus en 10 ans, montant à injecter dans les soins à domicile et les services de santé mentale — il s’agit essentiellement d’une augmentation de l’enveloppe budgétaire dont l’utilisation est assortie de conditions1. D’autres gouvernements ont déjà refusé par le passé de l’argent ciblé offert pour tenir des promesses électorales fédérales. Le groupe des provinces dans l’ensemble a rejeté la nouvelle offre, mais beaucoup de provinces concluent maintenant des ententes bilatérales, ce qui ne fait qu’affaiblir le pouvoir de négociation des autres.
Nous semblons nous diriger vers un débat houleux assorti de la création d’un mauvais précédent. Si les fonctionnaires fédéraux veulent exercer de l’influence sur les soins de santé, ils pourraient concentrer leur énergie sur de meilleures cibles. En gardant en otage les provinces et les patients face aux paiements de transfert, on ne peut que menacer le bien-être des provinces. Des partenaires comme l’Association médicale canadienne ou les associations médicales provinciales sont d’excellents endroits où lancer des initiatives que les ministères provinciaux de la Santé pourraient reprendre une fois qu’elles parviennent à maturité. Les initiatives canadiennes sur la chirurgie2 de l’Association canadienne des chirurgiens généraux, le soutien des politiques sur les soins aux traumatisés de l’Organisation mondiale de la Santé3 ou un partenariat avec l’Association canadienne d’orthopédie pour réduire l’usage des opiacés sont d’excellents exemples d’endroits où le gouvernement fédéral pourrait commencer à investir s’il voulait créer un système très visible, riche en partenaires, responsable sur le plan politique et auquel il pourrait consacrer du temps et des efforts. Si le gouvernement Trudeau souhaite des changements appuyés par des données probantes, il devrait financer la recherche médicale pour la porter au même niveau que celle d’autres pays industrialisés. Des objectifs financiers ciblés pourraient satisfaire le besoin pour le gouvernement de réaliser des gains politiques. La recherche sur les soins en santé mentale, les traumatismes et d’autres secteurs mal financés ayant une incidence sur la société canadienne a besoin d’un niveau de financement beaucoup plus élevé que ce qui lui est consenti actuellement. De tels efforts instaureraient vraiment un changement significatif dans la société.
Ce que fait actuellement le gouvernement fédéral face aux soins de santé est inconvenant et moralement inadmissible. Quels que soient les efforts déployés par le gouvernement Trudeau, notamment pour bloquer les soins de santé privés (idée imprudente lorsqu’elle s’associe à une réduction des paiements de transfert) ou pour financer les soins de santé mentale au détriment de tous les autres secteurs, ils ne devraient avoir aucun effet direct sur les attributions des provinces dans le domaine de la santé. En fait, le montant obscène de recettes fiscales que l’on renvoie aux provinces sous forme de paiements de transfert soulève une autre question : pourquoi sommes-nous surtaxés? Ce pourrait être pour des raisons de responsabilité budgétaire — ce qui est peu probable compte tenu d’autres politiques fédérales en vigueur — ou de recherche de popularité, le fédéral souhaitant être perçu comme le défenseur de la population dans le domaine des soins de santé. Or, Trudeau serait beaucoup plus populaire si son gouvernement cessait de surtaxer la population pour réunir les 37 milliards de dollars que son gouvernement réaffecte actuellement aux paiements de transfert au titre de la santé4.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’éditeur.
Intérêts concurrents: E.J. Harvey est médecin hygiéniste en chef de Greybox Healthcare (Montréal) et président du Conseil d’administration de NXT-Sens Inc. (Montréal).