La population canadienne n’a jamais fait de la médecine un véritable enjeu électoral. Nous sommes fiers — et à juste titre — de notre système de santé public. Il y a eu un certain débat sur les soins privés et le fait que nous n’en avons pas besoin, mais c’était en 2019. Les failles du système étaient déjà visibles à l’époque, mais la plupart des médecins s’en accommodaient. La réalité actuelle des listes d’attente à l’ère de la COVID-19 risque de produire un effet domino. Dans la profession, nous savons à quel point le système a connu des ratés pendant la pandémie, et nous vivons maintenant avec les conséquences des ajustements mis en place. En chirurgie, le système se compare à une digue sur le point de céder. Les listes d’attente partent en vrille. Celles pour une consultation ou un traitement ne donnent pas l’heure juste. La plupart des chirurgiens n’ont pas pu recevoir les patients qui leur étaient envoyés pendant les deux premières années de la pandémie, de sorte qu’on sous-estime les délais réels. Pour les interventions chirurgicales non urgentes, les retards se comptant en années sont devenus la norme. Et les listes publiées ne sont que la pointe de l’iceberg. Les véritables listes d’attente vont changer le fonctionnement des soins de santé. Il faut opérer un virage radical à l’échelle nationale. Comment le faire savoir à l’ensemble de la population? Par le passé, nous avons compté sur les médias pour transmettre les messages importants et sur les élus pour défendre les dossiers en santé au pays. Je commence à me demander si nous nous fions aux bonnes personnes.
Cela me frappe particulièrement au moment où j’écris ces lignes, en randonnée avec mon fils. Nous parcourons la route 66 qui traverse le coeur des États-Unis. Pendant le voyage, nous avons souvent écouté les nouvelles entre quelques chaînes de musique country. La façon dont elles sont rapportées est surprenante, et le ton change sur le chemin du Midwest vers l’Ouest. Ce que je tenais pour des vérités évidentes et indiscutables change du tout au tout sous le régime de la presse locale. Je me demande comment cela se compare aux reportages canadiens. Il me faudra accepter que les visions de la politique et de la presse libre chez nous ne sont peut-être pas si différentes de celles des États-Unis, si — du moins, nous l’espérons — elles ne sont pas aussi dichotomiques.
Nous voici donc au coeur du problème : qui sait éclairer le public sur les réalités de nos patients? Pour que les enjeux politiques de notre secteur soient à l’avant-scène aux prochaines élections, il faudra les rapporter nousmêmes. La stratégie de compter sur d’autres porte-parole risque d’être perdante. Les résultats n’ont pas été particulièrement concluants par le passé. La population ne devrait pas avoir à souffrir parce que nous pensons devoir rester à l’écart, dans une posture soi-disant apolitique. Il vaut mieux que nous fassions passer notre message clairement et par nousmêmes. Nos concitoyens seront plus enclins à tendre l’oreille aux personnes qu’ils tiennent en haute estime pour connaître l’état réel du secteur. Selon des sondages réalisés au pays1 et un comparable publié dans Forbes2, les infirmières, les médecins, les pharmaciens et les scientifiques figurent parmi les six professionnels les plus dignes de confiance. Les chiffres sont similaires aux États-Unis2, où plus de 80 % de la population respecte les scientifiques, les infirmières et les médecins. Quant aux moins respectés, il s’agit des politiciens et des influenceurs des médias sociaux. Au Canada, les journalistes se trouvent dans la moitié inférieure du classement, tandis que les influenceurs et les députés figurent au bas de l’échelle du respect ou presque1. Donc, si nous voulons du changement et si nous voulons que la population prenne conscience de sa nécessité, il ne faut plus compter sur les politiciens et les journalistes. C’est sous notre propre étendard que nous changerons la façon dont nos patients sont traités. Nous ne pouvons pas laisser la situation se dégrader davantage.
Footnotes
Les opinions exprimées dans cet éditorial sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Association médicale canadienne ou ses filiales.
Intérêts concurrents: E. J. Harvey est cofondateur et directeur de l’innovation médicale chez NXTSens Inc., cofondateur et médecin-chef chez MY01 Inc., et cofondateur et directeur de Strathera Inc. Il bénéficie du soutien institutionnel de J & J DePuy Synthes, Stryker, MY01 et Zimmer.
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